« S'il y a un bruit dans la forêt et qu'il n'y a personne dans la forêt, il n'y a pas de bruit.»
J'ai toujours attribué cette phrase à Peter Drucker.
L'origine du propos remonte, semble-t-il, à l'évêque irlandais George Berkeley (1685-1753), auteur du fameux Principes de la connaissance humaine , (1710), Garnier-Flammarion Poche.
C'est lui, d'après Paul Watzlawick, qui lance le débat: un arbre qui tombe dans une forêt déserte fait-il un bruit , bien que personne ne soit là pour l'entendre?
« Esse est percipi » dit-il à propos des objets: exister, c'est être perçu.
« L'opinion prévaut de façon singulière, parmi les gens, que les maisons, les montagnes, les fleuves, en un mot les choses sensibles, ont une existence naturelle ou réelle, en dehors du fait que l'esprit les perçoit ». Cette opinion, dit Berkeley, est « une contradiction évidente ». « Car que représentent donc ces objets, sinon des choses perçues par nos sens ? Or, que percevons-nous, sinon nos idées ou nos sensations (ideas or sensations) ? Et n'est-il pas simplement absurde de croire que des idées ou des sensations ou leurs combinaisons peuvent exister sans être perçues ? » (source)Et c'est également en réfléchissant à tout cela que l'on apprend que "machiste" ne veut pas dire "macho" mais "disciple de Ernst Mach", un type qui ne croyait pas aux atomes, le pauvre et adepte comme chacun sait de l'empiriocriticisme.
Moi, personnellement, je le préfère dans ses "bandes de Mach", une célèbre illusion d'optique: « On voit comme une transition de couleur qui forme un pattern en relief alors qu'il n'y a qu'une juxtaposition de bandes de gris variable. » ...
La vie ne serait-elle qu'un clone des bandes de Mach?...
mardi 7 juin 2005
L'arbre et le bruit: "Esse est percipi", oui ou non?
jeudi 21 avril 2005
Cherchez un mot dans la Constitution Européenne
Génial, cet outil mis au point par Jean Véronis, spécialiste des technologies du langage. Pour savoir quels sont les mots les plus utilisés dans la Constitution européenne. Bravo!
Par exemple:
- "président": 34 occurences
- "droit": 300 (qui dit mieux?)
- "concurrence": 40
- "social" : 77
dimanche 17 avril 2005
On ne parle pas tous dans le même ordre
Ordre des mots | Exemple | Langue |
SVO | La vache mange l'herbe | Français, anglais, finnois, chinois, swahili, vietnamien |
SOV | La vache l'herbe mange | Hindi/ourdu, turc, japonais, coréen, allemand et autres langues germaniques, tibétain |
VSO | Mange la vache l'herbe | Arabe classique, gallois, samoan |
VOS | Mange l'herbe la vache | Malgache, tzotzil (langue mayal) |
OSV | L'herbe la vache mange | Kabardien (langue du Caucase) |
OVS | L'herbe mange la vache | Hixkaryana (langue indienne du Brésil) |
"Les langues peuvent être classées selon différents critères. L'un d'entre eux est l'ordre dans lequel on place le sujet (S), le verbe (V) et l'objet (O) dans la phrase. Plusieurs "types de langues" sont ainsi distinguées, même si aucune langue ne correspond exclusivement à un type donné. Les tournures SVO et SOV sont les plus fréquentes, soit environ 75% des langues du monde. Les tournures OSV et OVS sont rarissimes"
Jean-François Dortier dans Sciences Humaines n° 160 - Mai 2005.
Mon commentaire: qui a raison? quel est le meilleur ordre? ....
vendredi 15 avril 2005
mardi 12 avril 2005
Création d'une rubrique "Information (notes de référence)"
A la demande générale et cédant à l'amicale pression de la foule immense de mes lecteurs en délire, j'ai créé une catégorie "Information (notes de référence)", où vous pouvez retrouver facilement tout ce qu'on a pu se dire sur ce vaste sujet de l'information, depuis la création de ce blog en novembre 2004.
Allez-y faire un tour: quand c'est classé comme çà dans une catégorie, ça prend tout de suite une autre gueule qu'au fil de l'eau! Bonne lecture!
jeudi 7 avril 2005
Comment nous lisons
Pour ceux que ça intéresse, voici un petit résumé de mon cours de Dauphine « Maîtriser son information » sur la partie lecture.
Savoir comment on lit permet ensuite de mieux comprendre comment il faut écrire pour être lu et compris. Je reviendrai plus tard sur cette partie écriture.
La plupart des informations que je traite ici viennent des enseignements des écoles de journalisme, notamment le CFPJ à Paris et l’ESJ à Lille.
Le lecteur parcourt un journal selon différents niveaux de lecture. Il consacre en moyenne 15 à 20 minutes à la lecture d’un quotidien. Sachant qu’il peut lire 12 000 mots à l’heure, il va donc en lire effectivement 3 000 à 4 000 mots, soit moins de 10% de la surface du quotidien.
Appliquez cette règle au contenu des blogs et vous désespérez immédiatement tous les auteurs ! Alors, restons positifs et concrets !
Le texte complet (10 pages en PDF)
Si vous êtes pressé: le résumé et les chiffres-clés, c'est par ici , lire la suite
- vitesse moyenne de lecture (d’un quotidien) : 12 000 mots à l’heure ; en 15 à 20 minutes, on lit 10% d’un quotidien.
- nombre de mots saisis en un coup d’œil : 7 à 10 mots
- temps de fixation : ¼ seconde
- temps de déplacement d’un groupe de mots à un autre : 1/40e de seconde
- capacité de mémorisation immédiate: 7 items (caractères, chiffres), plus ou moins 2
- principe de pertinence :
* plus l’effet cognitif produit sur le lecteur par une information est grand, plus elle est pertinente pour lui ;
* plus l’information lui demande un effort de traitement, moins elle est pertinente.
* la pertinence d’une information dépend de son contexte et ce contexte est fabriqué par le lecteur.
- principe de lecture des « deductive satisfacers » : dès qu’on arrive à une conclusion (compréhension du texte) qui coïncide avec nos croyances, on arrête de chercher des modèles alternatifs parce qu’ils risqueraient de réfuter notre conclusion.
- capacité de perception humaine : 45 bits par seconde (à comparer avec un taux de transfert de données d’un disque dur de 30 millions de bits par seconde)
- capacité de mémoire à court terme : 10 à 20 mots (ce qui permet de comprendre le sens d’un paragraphe)
- mémorisation d’un mot en fonction de son nombre de syllabes :
*1 syllabe = 100%
*2 syllabes = 60%
* 3 syllabes = 25%
* 4 syllabes = 15%
* 5 syllabes = 10%
=> loi de Baudot : les mots les plus utilisés (donc les mieux compris) sont les plus courts ; dans la langue française les 34 mots les plus utilisés ont une longueur moyenne de 2,8 lettres tandis que ceux aux environs de la 12 000e place ont une longueur moyenne de 8 caractères.
- vocabulaire moyen :
* fin d’études primaire = 700 mots
* niveau bac = 1 500 mots
* études supérieures = 3 500 mots
=> par rapport à ces quantités, nous reconnaissons 4 à 5 fois plus de mots mais avec un sens approximatif.
* Petit Robert = 50 000 mots
* Thésaurus de la langue française = 150 000 mots sans jargons, 250 000 mots avec jargons
- mémorisation d’une phrase en fonction de son nombre de mots :
* 12 mots : 100%
* 13 mots : 90%
* 17 mots : 70%
* 24 mots : 50%
* 40 mots : 30%
- vocabulaire auteurs célèbres :
* Charles de Gaulle 6 009 mots (ensemble de ses discours)
Jean Racine : 1 800 mots (ensemble de ses tragédies)
* Charles Trénet : 1 200 mots (ensemble des chansons)
* Georges Simenon : 800 mots (tous les Maigret)
- la loi mystérieuse de Zipf : dans un corpus de texte, le produit de la fréquence d’un mot par son rang dans le texte est constant : le 100e mot est utilisé 100 fois moins que le 1er, le 1 000e 1 000 fois etc.
Sources principales et auteurs cités dans le texte complet, par ordre d’apparition : Noam Chomsky, G.A Miller, Bertrand Labasse, Barbara Minto, A.D Baddeley, W. Kintsch, Dan Sperber et Deirdre Wison, Philip N. Johnson_Laird, M.F. Ehrlich, HH. Tardieu, M . Cavazza, Robert Escarpit, Loïc Hervouët, Jean Baudot
vendredi 1 avril 2005
"Le cerveau? une machine à oublier! " Entretien avec le cogniticien Jean-Gabriel Ganascia
Jean-Gabriel Ganascia est chercheur, professeur à l’université Pierre et Marie CURIE, Paris VI, spécialiste de l’intelligence artificielle et des sciences cognitives.
Plus on fait de l’ordinateur et de l’internet, plus on risque de perdre la mémoire, parce que l’on ne fait plus d’effort de mémorisation…
Jean-Gabriel Ganascia - Il faudrait lever une ambiguïté : c’est l’esprit est transformé, ce n’est pas le cerveau, cet organe qui est dans la tête, qui est transformé, c’est l’esprit.
Le cerveau sera peut-être touché un jour…
Jean-Gabriel Ganascia – En effet, avec les nanotechnologies, on risque de greffer dans le cerveau un certain nombre de puces, ce que l’on commence à faire, par exemple, avec les implants cochléaires ou les rétines artificielles. Mais pour l’instant, il s’agit vraiment de notre esprit, de notre mémoire.De la même façon que le calcul mental est en perdition, on peut craindre que notre mémoire soit transformée. La perdra-t-on vraiment ? Je n’en suis pas certain.
Dans l’histoire, sont intervenues des transformations majeures qui ont transformé notre mémoire. L’apparition de l’écrit, de l’imprimé ensuite a fait que, chaque fois, notre mémoire s’est un peu transformée. Et il en va de même aujourd’hui avec les nouvelles technologies de l’information.
Mais c’est très bien d’être sur l’ordinateur, sur internet, avec de
nombreuses informations qui vont exciter notre cerveau, qui vont nous
dynamiser..
Jean-Gabriel Ganascia - Tout à fait. Cela va dans les deux sens.
Notre plus grand ennemi, c’est nous-mêmes et notre paresse risque de
faire que nous ne mémoriserons plus rien en nous disant : « Tout est là
».
D’un autre côté, les technologies actuelles nous permettent de décupler
nos capacités ; par exemple, de lire d’une façon nouvelle en
rapprochant tel passage de tel autre beaucoup plus facilement ;
éventuellement même, d’avoir des techniques qui vont nous permettre de
regarder des choses différentes.
Nous travaillons, par exemple, avec des spécialistes de critiques
littéraires, sur les brouillons d’auteurs. Nous pouvons faire des
comparaisons de brouillons d’auteurs qui nous permettent de repérer
très finement les transformations d’une version à l’autre et, donc, de
voir quelles sont les phases de réécriture.
Vous pourriez nous donner une idée de ce processus de création, de correction, de modification ? L’avez-vous modélisé ?
Jean-Gabriel Ganascia - C’est exactement ce que nous faisons en ce moment dans notre laboratoire avec un logiciel qui s’appelle MEDITE.
Il crée du texte et il le corrige ?
Jean-Gabriel Ganascia - Non, il ne crée pas du texte, il essaye
de modéliser les phases de réécriture, pas pour faire un rédacteur
artificiel, mais pour nous aider à comprendre, pour lire mieux, pour être plus
intelligent dans notre compréhension des phénomènes d’écriture.
Ces jeunes qui zappent en permanence d’une image à l’autre, d’un son
à l’autre: avez-vous une vision plutôt optimiste ou plutôt pessimiste
sur ce réflexe zapping ?
Jean-Gabriel Ganascia - A la fois optimiste et pessimiste.
Pessimiste, parce que l’on peut craindre qu’on ne se concentre plus et
que ce soit du papillonnage généralisé ; optimiste, car, pour certains,
c’est la possibilité d’avoir une lecture, non plus contrainte par la
linéarité du papier, non plus contrainte par la linéarité du texte,
mais une lecture qui va pouvoir mettre en rapport des éléments
extrêmement différents.
On pense, par exemple, à l’exégèse des textes anciens, qui se faisait
par cette mise en rapport, qui était extrêmement longue et qui faisait
que les personnes devaient avoir tout dans la tête. Peut-être peut-on,
là, avoir peu de chose dans la tête, mais des choses côte à côte.
Et les comparer sur ordinateur.
Jean-Gabriel Ganascia - L’ordinateur, c’est comme la langue.
Comme le disait Esope, c’est la meilleure et la pire des choses. C’est
favoriser notre démon intérieur, notre paresse ; c’est aussi accroître
nos capacités et notre intelligence.
Faites-vous une différence entre lire un livre, lire un journal papier, lire des informations à l’écran ou sur le web ?
Jean-Gabriel Ganascia - Il existe plusieurs modes de lecture :
la lecture d’un roman sur une plage, la lecture savante dans un
cabinet, la lecture professionnelle que nous faisons tous les jours, ce
n’est pas la même chose. Surtout, les outils que nous utiliserons
seront différents pour ces différents types de lecture.
En particulier, pour la plage, le livre demeure tout à fait approprié. Il faut faire en sorte que les modes de lecture savante ou professionnelle soient aussi agréables que la lecture loisir.
Peut-on faire une comparaison entre le stockage informatique et le
stockage de notre cerveau ? Cela fonctionne-t-il de la même façon ? Je
crois avoir lu quelque part que la capacité du cerveau était de 2
gigaoctets. Est-ce complètement farfelu de dire cela ?
Jean-Gabriel Ganascia - Je crois que c’est complètement farfelu.
La grande erreur, c’est de confondre mémoire et mémoire. On a appelé le
dispositif de stockage d’informations, dans nos machines, des mémoires.
C’est tout à fait abusif. Nous avons, dans notre tête, un certain
nombre de choses, mais ce ne sont pas des bits d’informations. Une
mémoire, au sens psychologique, ce sont les processus de réminiscence
et les processus d’oubli. Or, la chose la plus difficile à faire dans
une machine, c’est l’oubli. L’apprentissage, c’est de la
généralisation, c’est-à-dire de l’oubli intelligent.
Le cerveau, c’est une machine à oublier ? C’est cela ?
Jean-Gabriel Ganascia - Exactement.
Vous parlez souvent, dans vos écrits, dans vos interventions, d’une
éventuelle domination par une pseudo machine humaine. Et là on commence
à avoir très peur. Vous pensez vraiment que l’on pourrait être
totalement soumis à nos outils ?
Jean-Gabriel Ganascia - Non. Peut-être les choses
changeront-elles le jour où l’on fera des ordinateurs biologiques, sur
des principes physiques différents.
Aujourd'hui, les technologies font que nous ne pouvons pas imaginer des ordinateurs qui prennent le pouvoir sur nous.
D’autant que nous pouvons les débrancher.
Jean-Gabriel Ganascia - Il suffit en effet de les débrancher. En
revanche, ce que nous pouvons craindre, c’est que l’emprise des
technologies dans la société contemporaine fasse qu’une panne de ces
machines ou qu’une malveillance sur des machines entraîne des désordres
sociaux considérables. Que va-t-il se passer si l’ordinateur de
l’assurance maladie s’arrête ? Vous imaginez la révolution.
Vous animez une équipe de chercheurs qui s’appelle ACASA, vous
travaillez sur l’apprentissage, l’acquisition de connaissances, les
processus de découverte scientifique, etc., et vous avez de nombreux
exemples d’applications, la composition musicale, la phonologie du
chinois. Où en êtes-vous?
Jean-Gabriel Ganascia - Ce qui nous intéresse, en intelligence
artificielle, c’est de modéliser le plus finement les capacités
intellectuelles humaines, à la fois reproduire les choses simples, la
déduction, aller jusqu’à l’apprentissage et, pourquoi pas, essayer de
comprendre les processus, d’abord de découverte scientifique, puis les
processus créatifs. Vous allez me dire : « Vous n’allez pas redécouvrir
ou recomposer la 5ème symphonie ? ». Non, bien sûr.
Et un ordinateur faisant de la poésie ?
Jean-Gabriel Ganascia - Ce que nous pouvons faire, ce sont des
créativités minimales, par exemple, nous demander comment nous pouvons
faire pour reconstituer une ligne de basses qui est une improvisation
dans un trio rythmique. C’est ce que nous avons fait.
Et ce qui m’intéresse à ce moment-là, c’est que le modèle de créativité
est un modèle qui est construit sur cette notion de mémoire, mémoire au
sens je l’ai dit tout à l’heure, à savoir qu’il s’agit de reprendre des
éléments anciens - comment l’imagination fonctionne, avec des bribes de
nos souvenirs - et les recomposer.
(Extrait son interview sur BFM)
lundi 21 mars 2005
L’information : chronique d’une mort annoncée
On sait hélas que la théorie de l’information n’a pas fait beaucoup de progrès depuis son élaboration par Claude Shannon en 1949. Rappelons que c’est cette théorie qui a créé le bit, le binary digit et qui a donné naissance à l’informatique et aux télécoms (lire sur le sujet ma note précédente et ses commentaires).
C’est donc vers elle que l’on revient chaque fois que l’on se pose la question fatale, foetale : "finalement, c’est quoi l’information ?"
Pourtant, tout le monde est d’accord : on vit dans une « société de l’information ». Après l’ère de la vache (l’agriculture), l’ère de la cheminée (l’industrie) et l’ère du sourire (les services), nous voici dans « l’ère de l’information ». La preuve par l’absurde: nous sommes déjà sur-informés, saturés d’information : c’est le fameux COS (Cognitive Overflow Syndrom). Notre cerveau ne peut tout retenir !
Mais si vous posez la question, personne ne sait vraiment ce qu’est l’information, ce qui la distingue du fait, de l’événement, de la donnée, de la connaissance mais aussi de la rumeur, de la communication, du message…
Pour envenimer le débat, je vais donc m’atteler à développer une nouvelle théorie de la catastrophe sur l’information que je résume ci-dessous :
1/ L’information est une création.
Elle est unique, spécifique, donc rare et chère. Même si elle n'est pas physique, elle a un poids, elle a un prix.
C’est une ressource
produite par l’homme : elle n’existe pas à l’état de nature : «
révéler, étonner, raconter » était la devise des fondateurs du journal
Le Parisien. Elle est aussi synthèse et non pas simple juxtaposition,
empilement de points de vue. Chacun d’entre nous peut créer une
information, à condition qu’il respecte les règles de fabrication, à la
portée de tous et pas seulement des journalistes. Encore faut-il les
connaître et les appliquer. (On doit pouvoir faire un séminaire de
trois jours là-dessus : tiens un nouveau business !)
2/ L’information est vitale pour l’homme.
Sans
information, il perd son individualité et sa liberté. Il devient
décérébré. Elle lui est indispensable pour comprendre le monde dans
lequel il vit, c’est un input et un output de la connaissance :
- elle nous apprend quelque chose : l’information c’est la surprise ;
-
elle change notre vision des choses et donc nous permet de recréer
nous-même les conditions de la modification de notre environnement ;
vivre c’est s’adapter.
Ce sont les deux enseignements de base de la théorie de Shannon et des grandes théories de la communication.
L’information
est donc indispensable pour vivre libre et indépendant : la vraie
liberté n’est pas la liberté d’expression mais la liberté
d’information. Non pas au sens traditionnel, liberté de la presse, mais
au sens moderne : chacun peut et doit recevoir et créer son information.
=>
Et ma conclusion sera : si plus personne ne veut la payer et, surtout,
si plus personne n’y croit, plus personne ne pourra ou ne voudra la
créer.
Elle va donc mourir et sera remplacée par un magma formé de
deux substances : d’une part l’opinion, individuelle et collective – ce
que les sociologues appellent « l’inter-subjectivité - et d’autre part
la communication des groupes d’intérêt, qui ont de l’argent, un
savoir-faire de communication et des messages à faire passer.
L’homme
sera d’autant plus réceptif, de manière implicite, à ces messages,
qu’il aura par ailleurs l’illusion de la liberté, grâce à ses
possibilités illimitées d’expression. Il ne sera plus réflexif ni
créateur, il sera communiquant et consommateur.
C’est la victoire
d’une alliance improbable, celle de la cybernétique - prédite par
Norbert Wiener pour qui tous les objets du monde, qu’ils soient
humains, naturels ou artificiels se classent sur la même échelle de
valeur, uniquement en fonction de leur capacité à communiquer – et du
commerce.
Plus l’homme s’exprime, plus il se croit libre, telle est la terrible illusion de l’ère post-informationnelle.
Place
aux nouveaux gourous, polyglottes et technoïdes, qui donnent aux hommes
ces moyens d’expression et l’illusion de leur liberté.
lundi 14 mars 2005
Le terrible paradoxe de l’information gratuite
Que veut dire NEWS ? « Not Ever Willing To Spend »… Pas qestion de payer (pour lire des news on line). C'est la nouvelle blague entre happy few...
Oui, mais…
L’information générale n’est gratuite sur le web que parce qu’elle est payante sur le papier. Sinon, elle n’existerait pas.
Tel est le paradoxe auquel aboutit la lecture d’un article du New York Times (accès gratuit après enregistrement !).
Ce paradoxe se décrit en trois temps :
1. Aucun site de news n’a les moyens de se payer les ressources
journalistiques dont disposent les quotidiens papier. Ils
n’existeraient pas sans eux.
2. Ceux-ci sont confronté à un dilemme : la seule recette qui croit est
celle de la pub en ligne ; mais s’ils font payer l’accès en ligne à
leurs news, ils sacrifient leur audience donc leur recette pub et ils
perdent alors plus d’argent en pub qu’ils n’en gagnent en lecture
payante.
3. L’audience des sites de quotidiens offrant un accès on line gratuit
augmente très vite (+45% par an), en même temps que leur nombre
d’abonnés papier décroît lentement mais inexorablement et, là aussi,
ils perdent plus d’argent d’un côté qu’ils n’en gagnent
de l’autre.
Résultat : sur 1 456 quotidiens américains, un seul quotidien national,
The Wall Street Journal et 40 petits quotidiens seulement font payer
l’accès on line à leurs news.
Si quelqu’un a une solution, je suis preneur !
Pour ceux que çà intéresse en détail, voici ma traduction (rapide!) de cet article.
Les quotidiens peuvent-ils stopper la lecture gratuite on line ?
Par Katharine Q. Seelye
The New York Times, 14 mars 2005
« Les consommateurs sont prêts à dépenser des millions de dollars sur le web pour acheter de la musique ou jouer en ligne. Mais dès qu’il s’agit d’actualité, d’info, ils veulent bien la lire mais pas la payer.
Certains sites de quotidiens sont devenus si populaires que leur audience dépasse celle de la version papier. Les patrons de presse regardent avec anxiété leur nombre de lecteurs diminuer sur le papier et augmenter sur le web. Ils ont du mal à admettre qu’il leur faille donner du contenu gratuitement sur le web.
Cette migration de lecteurs est en train de transformer l’industrie de la presse quotidienne. La pub en ligne ne compte encore que pour 2 ou 3% du chiffre d’affaire des quotidiens mais elle croît très vite. Alors que la marge de la pub sur papier est nettement plus forte.
Faut-il alors faire payer la lecture des infos sur le web ? Sur les 1 456 quotidiens américains, un seul quotidien national, The Wall Street Journal et environ 40 petits quotidiens le font. Les autres font payer certains types d’accès en ligne ou offrent des services supplémentaires à leurs abonnés en ligne.
Le New York Times va sans doute annoncer bientôt une initiative en ce sens. Le site en janvier 2005 avait 1,4 million de visiteurs uniques quotidiens. Sa diffusion papier était de 1,124 millions en 2004 contre 1,176 millions en 1993. Pour l’instant, le site fait payer les mots croisés, les alertes de news et l’accès aux archives.
En comparaison, le Wall Street fait payer 79 $/an l’abonnement on line qui comprend tout (39$ pour un abonné papier).
Faire payer le contenu on line est plutôt vu par les éditeurs comme une attitude défensive visant à contrer la lente érosion du nombre des abonnés papier. La croissance du nombre de lecteurs on line aurait tendance à se ralentir mais le temps moyen passé sur le site à augmenter. La lecture gratuite des sites de quotidien passe déjà par un processus d’enregistrement (adresse email) qui permettrait de basculer rapidement vers un processus payant, si on prenait la décision.
En 2004, selon Online Publishers Association, les internautes ont dépensés 88 millions de dollars dans la lecture de news on line, une progression de seulement 0,4% sur 2003, alors qu’ils ont dépensé 414 millions de dollars en loisirs, une progression de 90%.
La blague qui circule : le nouvel acronyme NEWS veut dire « Not Ever Willing To Spend » : pas question de payer.
Le site du Los Angeles Times fait payer 4,95 $ pour sa section « Calendar Live » qui couvre les loisirs, avec des listes et des critiques de restaurants, mais le trafic a diminué et il n’est pas certain que le paiement va continuer.
Le site du Chicago Tribne offre un programme « Avantages Abonnés » qu donne aux abonnés papier un accès libre on line aux archives et à un certain nombre de bonus.
Le problème est de savoir ce que les lecteurs sont prêts à payer sur le web. Les informations générales ? On en trouve tellement partout qu’il n’en est pas question. Le sport ? Peut-être si le web donne plus d’infos que le papier. Le Milwauker Journal Sentinel a un package annuel de 34,95 $/an pour suivre ses Green Bay Packers (leur équipe de foot), avec des blogs, des photos pour les fans et des extraits audios.
Mais la seule vraie croissance on line est bien celle de la pub : une croissance de 45% entre 2003 et 2004, d’après une étude sur 700 quotidiens, même si on s’inquiète par ailleurs du développement des logiciels filtrant la pub, comme TIVo pour la télé.
D’où le dilemme : si on fait payer l’accès on line aux news, on risque de faire diminuer l’audience on line donc la pub et on perdra plus d’argent qu’on en gagnera !...
Le cas du Wall Street Journal est quasiment le seul à offrir un contre exemple : 700 000 abonnés on line dont 300 000 uniquement web et 400 000 web et papier. Pour un total de 1,8 millions d’abonnés papier. Évidemment, la plupart des abonnements sont payés non par des individus mais par des entreprises. Néanmoins en limitant son audience web à des abonnés payants, le site limite aussi ses possibilités de pub. Le groupe a d’ailleurs dépensé 519 millions de dollars pour MarketWatch, le site de news financières, dans le but d’être plus attractif pour la pub on line.
Lorsque le Wall Street est passé en payant sur son site, le trafic a diminué des deux tiers. Puis il a redémarré à partir de 1997 jusqu’en 2000 : +35% d’abonnements au 1er trimestre 2000 par rapport au 1er trimestre 1999. Mais ensuite la croissance s’est considérablement ralentie : +2% seulement entre 2003 et 2004.
A une échelle plus petite, un autre journal qui fait payer l’accès on line est The Spokesman-Review, (Spokane, Washington) : une diffusion papier de 100 000 et environ 20 000 de ces abonnés papier accèdent gratuitement à la version online tandis que 545 personnes payent 7$/mois pour uniquement l’accès en ligne. Dès que l’accès est devenu payant, le trafic qui augmentait de 40% par an a stoppé sa croissance : en janvier 2005, il est de 5% inférieur à celui de janvier 2004. Et malgré cela, la diffusion papier a continué à décroître légèrement.
Le business modèle du quotidien papier est en train de décliner ce qui pose problème car c’est lui qui alimente le web : sans articles issus des quotidiens papier, les sites de news n’existeraient pas et ils ne pourraient supporter les coûts d’infrastructure nécessaires.à créer ces articles."
samedi 12 mars 2005
« Les blogueurs d'infos sont-ils les nouveaux journalistes ? » (suite)
"Les internautes qui diffusent de l'information sur leurs blogs: ces blogueurs sont-ils les nouveaux journalistes?"
Question posée en contrôle semestriel à l’Université Paris Dauphine, aux étudiants de 2e année du Magistère de Gestion.
Extraits des réponses des étudiants (suite)
(pour les premiers extraits, lire la note précédente)
PLUTOT OUI
- « Ne critiquons pas les médias, devenons les médias » disent les blogueurs d’info : c’est une bonne formule !
- Quand bien même les blogs d’info ne respecteraient pas toutes les valeurs du journalisme, ils jouent néanmoins un rôle nouveau de traiteurs d’informations qui n’est pas à négliger.
- « Blogueurs d’infos » et « journalistes » : à quand une vraie coopération entre ces deux « meilleurs ennemis » ?
- L’ère de l’information veut dire l’ère de la réactivité.
- Le blog c’est un renouveau de l’espace public d’Habermas...
- Les journalistes de la presse généraliste devraient concevoir la
publication de leurs articles non comme une fin en soi mais comme un
moyen de renouer le contact avec le public et de moins donner la prime
au discours officiel. - Les blogs d’info sont un media alternatif non exclusif.
PLUTOT NON
- Contrairement au journaliste, le blogueur n’a pas de devoir moral, il
peut mentir ou déformer les faits comme il veut, sans que le lecteur ne
puisse s’en rendre compte. - L’information sur un blog étant subjective, sa pertinence est
aléatoire, or c’est ce critère de pertinence qui est le plus important
pour sélectionner une info.
lundi 7 mars 2005
La lecture globale et la loi de l'effort minimum
L’histoire est connue mais j’ai envie de revenir dessus puisque,
apparemment, le bidule circule à nouveau : vous lisez assez facilement
ce genre de texte, n’est-ce pas ?
Ça marche dans toutes les langues. En Anglais :
Aoccdrnig to a rscheearch at Cmabrigde Uinervtisy, it deosn't mttaer in
waht oredr the ltteers in a wrod are, the olny iprmoetnt tihng is that
the frist and lsat ltteer be at the rghit pclae. The rset can be a
total mses and you can sitll raed it wouthit porbelm. Tihs is bcuseae
the human mnid deos not raed ervey lteter by istlef, but the wrod as a
wlohe. azmanig huh?
C’est assez amusant et basé sur de vraies observations mais pas très scientifique...
...En réalité, la lecture globale reste possible si le désordre des caractères s’applique surtout à l’intérieur des phonèmes.
Mais si on se met à changer l’ordre des phonèmes, alors cela devient plus difficile ! Et encore plus si on change la première lettre…
Exemple :
C’est assez aamsnut et bsaé sur de veairs oavtreniosbs mias ce n’est pas tèrs sfnciiqtieue. En fiat la ltruece gblaloe rsete psoilsbe si le dsréorde des crctraaèes s’aqulippe suturot à l’iétreniur des pmnehèos mias si on se met à cenaghr l’odrre des pmèehnos, orals acle vedenit lups efdifiilc !
Comment ça marche? La lecture ne s’attache pas qu’aux lettres ni même qu’aux mots, mais elle cherche tout de suite un sens global et rattache rapidement certains mots clés à d’autre.
Un petit malin s’est même amusé à créer un site qui mélange à volonté les lettres de votre texte.
Voilà pourquoi il est important d’inclure systématiquenent des mots clés dans les documents que vous écrivez ou dans vos exposés oraux : ils auront naturellement plus d’impact.
C’est, au niveau oral, le même genre d’expérience que font les gamins quand ils s’amusent à interpeller un copain en ne prononçant que la dernière syllabe de son nom : çà marche à tous les coups et tout le monde rigole ! (principe de l'aphérèse)
Le principe de pertinence et la loi de l’effort minimum
Tout cela que n’est que l’application du mode de fonctionnement intuitif du cerveau : le principe de pertinence. On ne retient que ce qui nous paraît immédiatement utile.
(Plus globalement, d'ailleurs, ce principe de pertinence s’applique aussi au travail journalistique...)Il y a un texte de Dan Sperber et Deirdre Wilson, cités dans La communication : Etat des savoirs qui l’explique très bien :
« Qu’est-ce que la pertinence ? Le traitement de l’information par les êtres humains leur demande un certain effort mental et produit en eux un certain effet cognitif. L’effort demandé est un certain effort d’attention, de mémoire et de raisonnement. L’effet produit consiste en une certaine modification de croyances de l’individu : l’addition de nouvelles croyances, l’élimination de croyances antérieures ou simplement un affaiblissement ou un renforcement de croyances antérieures. »
Ils en déduisent deux règles :
- plus l’effet cognitif produit par l’information sur le destinataire est grand, plus elle sera pertinente pour lui ;
- plus l’information lui demande un effort de traitement, moins elle sera pertinente.
C'est la « loi de l’effort minimum » : la pertinence d’une information dépend de son contexte et ce contexte est en quelque sorte « fabriqué » par l’interprète, le destinataire; il est choisi par lui dans le sens qui lui donnera le maximum de compréhension c’est-à-dire le maximum d’information pour le moindre effort. D’où les possibilités de malentendu et de manipulation.
« Nous sommes tous des deductive satisfacers »
Bref, on s’arrête dès qu’on croit avoir compris, on est tous un peu flemmard. C’est ce que dit Philip N. Johnson-Laird (*):
« Les sujets qui parviennent à une conclusion putative qui coïncide avec leurs croyances auront tendance à arrêter de rechercher des modèles alternatifs qui pourraient réfuter leur conclusion, les gens sont des deductive satisfacers ».
(*) JOHNSON-LAIRD Philip N., La théorie des modèles mentaux, in EHRLICH M.-F., TARDIEU HH., CAVAZZA M. (sous la dir. de), Les modèles mentaux, approche cognitive des représentations, Masson, 1992. (pas trouvé de correspondance Amazon, désolé!)
PS: si quelqu'un connaît une méthode équivalente pour apprendre le solfège, je suis preneur!
dimanche 6 mars 2005
« Les blogueurs d'infos sont-ils les nouveaux journalistes ? »
"Les internautes qui diffusent de l'information sur leurs blogs: ces blogueurs sont-ils les nouveaux journalistes?"
Question posée en contrôle semestriel à l’Université Paris Dauphine, aux étudiants de 2e année du Magistère de Gestion.
Extraits des réponses des étudiants.
===> Plutôt oui
- La nouveauté du blog : on donne son opinion, le récepteur n’est plus passif, il réagit et n’accepte plus l’information brute.
- Certains blogs sont très pointus, comparables à des magazines spécialisés.
- Richesse et diversité des contenus, notamment multimédias.
- Les blogs par leur interconnexion constituent une force d’influence potentielle considérable.
- Une information différence de celle des journalistes : moins officielle, plus proche des gens.
- Le phénomène des blogs exprime indirectement un appel au renouveau du journalisme.
- La presse écrite généraliste est sclérosée par la prime au discours officiel, l’influence des milieux financiers, les critères de sélection qui favorisent toujours les mêmes infos (nouveauté, sensationnel, proximité).
- Les blogs disent au public ce que les journaux ne disent pas.
- Le blog n’a pas d’heure de bouclage.
- Les blogs existent en réponse à une lacune des médias : le débat public.
===> Plutôt non...
- Dans les blogs on trouve tout et n’importe quoi: il faut faire le tri et c'est un gros boulot.
Le mensonge est partout, même sur les blogs.
Les informations inédites sont rares, on retrouve les mêmes discussions de blog en blog, copiées de l’un à l’autre.
Les blogueurs ne font qu’une partie du métier de journaliste :
transmettre; ils n’ont pas le même souci d’écouter et de comprendre.
On peut s’inventer blogueur mais on ne peut pas s’inventer journaliste.
Tout est dit, tout peut se dire sur les blogs, sans contrôle, ce qui
n’est pas le cas pour les journalistes qui vérifient avant de publier.
Une des principales valeurs du journaliste est le respect de l’autre,
du public et on ne peut pas dire que tous les blogueurs aient cette
valeur.
Valeurs du journalisme : doute, impartialité, équité, indépendance,
respect du public, empathie, honnêteté, objectivité, ouverture,
vérification soigneuse des sources. Sont-elles appliquées dans les
blogs ? Pas toutes ni partout puisque le blog au contraire se réclame de la
subjectivité et de la vision personnelle.
Le risque de manipulation de l’information est élevé sur les blogs : on
diffuse très vite des points de vue partiaux ou partiels, des opinions,
des informations floues, ambiguës, peu ou mal vérifiées, partisanes.
Malgré leur remarquable émergence, les blogueurs sont victimes de la
mythologie technologique moderne qui voudrait faire coïncider les
besoins individuels d’expression et de reconnaissance et le besoin
collectif de démocratie participative.
(... d'autres extraits à suivre...)
mardi 1 février 2005
Conversations avec un philosophe sur internet, les blogs, etc.
Ci-dessous, extraits de la discussion que j’ai eue récemment sur BFM (c'est dans le dernier quart d'heure de cette séquence audio) avec Jean-Michel Besnier, un philosophe qui dit plein de choses passionnantes, et parfois dures, sur des sujets qui nous intéressent comme la modernité, internet, les blogs, etc.
Pourquoi les philosophes n’aiment-ils pas la technique ? Ils en ont peur ?
JMB : Il existe une vieille tradition de disqualification de la technique chez les philosophes : la technique, c’est l’affaire des esclaves. L’homme est asservi à la nature et la technique c’est l’ensemble des démarches qu’il utilise pour ruser avec la nature.
La philosophie, c’est la lenteur et la technologie, la vitesse, c’est cela ?
JMB : Oui, la philosophie est du côté de la contemplation ; pour nous, la plus haute pratique, c’est la contemplation. Le philosophe est déconcerté par la vitesse, cette fuite en avant permanente, qui fait oublier l’essentiel, qui recouvre tout. Toutes les grandes questions des philosophes sont recouvertes par la technique qui manipule des « étants », par opposition à « êtres ».
Vous dites aussi que le rituel, nécessaire, disparaît avec internet…
JMB : Internet homogénéise les pratiques à l’échelle de la planète ; tout ce qui est singulier se dilue, se dissipe ; on assiste à une planétarisation des comportements, liée aux machines qui dictent leurs usages.
Si on prend les blogs, c’est l’inverse : chaque contenu est spécifique…
JMB : Le phénomène du blog est intéressant parce qu’il exprime une tentative pour préserver sa singularité dans un univers qui lamine. C’est un renouveau de l’intériorité, ce qui est plutôt rassurant par rapport à une société tout internet ou chaque individu aurait tendance à se penser d’abord comme un être communiquant, qui n’existe que dans sa relation, qui n’a plus de substance.
Ce sont les théories de Palo Alto et de la cybernétique ?
JMB : Exactement ! Le blog, ce goût pour le récit de soi, est une manière de camper sur une individualité. C’est très positif.
Et ma fille de 14 ans qui passe son temps à chatter sur internet, c’est bien ou ce n’est pas bien ?
JMB : Ce n'est pas une question de morale! Tout ce qui encourage à communiquer est positif. Ce qui est nocif, c’est l’autisme. L’humanité se définit d’abord et avant tout par son aptitude à communiquer. C’est parce que nous sommes des êtres de communication que nous pouvons grandir.
Ces jeunes qui chattent, ces internautes qui bloguent, ils communiquent vraiment ?
JMB : Toute la question est de savoir s’ils communiquent où s’ils s’expriment. Je me méfie beaucoup de ce culte de l’expression, très à la mode : il n’est pas synonyme d’écoute. Pour communiquer, il faut être deux et deux individus à part entière.
Il n’y a peut-être pas d’échange, simplement une juxtaposition d’expressions personnelles…
JMB : Absolument : Lacan parlait de « jaculation ». Toute cette subjectivité, ce culte de l’expression, n’est pas forcément un facteur d’enrichissement.
Quand même, dans le blog, il y aussi ce phénomène des commentaires, ces réactions immédiates des lecteurs, cette inter-réactivité, très rapide, très nerveuse : ce n’est pas quelque chose qui fait avancer la pensée, cela ?
JMB : Oui, c’est très intéressant ; on tient là quelque chose d’assez nouveau qu’on pourrait appeler de l’inter-subjectivité, c’est-à-dire le fait de mettre en relation deux individus qui se pensent comme des sujets, qui prennent des initiatives dans leur relation, qui défendent des valeurs, des idéaux, des arguments.
Revient-on au modèle de l’agora antique, à l’espace public de Habermas ?
JMB : Ce modèle de tchatche s’inscrit dans le modèle de l’agora, sauf que celle-ci était très organisée, très ritualisée. Il y avait ceux qui l’organisaient, qui parlaient et il y avait des esclaves, des femmes, des enfants, qui n’avaient pas accès à l’agora. Et le rituel était très fort : on se déplaçait, on allait au centre de l’agora, on prenait la parole puis on reprenait sa place et ainsi de suite. Aujourd’hui, on est plutôt dans un joyeux désordre, dans une idéologie du désordre dont on espère que naîtra un nouvel ordre.
Il y a un risque de schyzophrénie dans le cyber-espace, on confond le réel et l’imaginaire, c’est cela ?
JMB : Oui, pour moi, le cyberespace connote cette espèce d’immersion dans une religion anéantissante. C’est une idéologie effrayante où on laisse entendre que grâce à la connexion de nos ordinateurs, nous allons réaliser une espèce de cerveau planétaire. Et vous, moi, nous serons chacun un neurone de cette planète. Le problème c’est qu’un neurone, ça se remplace facilement.
De toute façon, à force de se frotter au numérique, notre cerveau est en train de changer, non ?
JMB : Toute activité que nous commettons transforme notre cerveau. On n’est peut-être pas de futurs robots, mais le fait d’être tous formatés de la même manière par nos machines est certainement en train de changer quelque chose. On n’en prend pas encore toute la mesure neurobiologique. Mais, déjà, au niveau des comportements, au niveau des langages, on a des indices qui montrent que nos machines ont un impact sur notre manière de penser.
Comment faire pour lutter contre la saturation d’informations ?
JMB : Se débrancher, bien sûr ! C’est cela l’idée de la philosophie, de la poésie : emprunter les chemins de campagne…
mardi 4 janvier 2005
Qu'est-ce que "l'information" ? (suite)
Suivant le conseil de Thierry, je relis "Invitation à la théorie de l'information" de Emmanuel Dion (voir mon post "Ma bibliographie sur l'information ci-dessous pour le lien Amazon) et j'y retrouve effectivement plein de choses intéressantes. Notamment, comment l'information se situe "à la croisée de plusieur concepts physiologiques et philosophiques essentiels":
- l'information, comme réduction de l'incertitude; (merci tao!)
- l'information, comme résultat de la surprise;
- l'information comme mesure de la complexité;
- l'information dans la problématique de l'ordre et du désordre.
Dès que j'ai terminé le livre, je vous en fais un résumé, c'est promis!
lundi 3 janvier 2005
Maîtriser son information: une synthèse
A la demande de plusieurs d'entre vous, je mets à disposition une synthèse provisoire de mon cours de Dauphine Maîtriser son information (document PDF de 269 K); j'ai essayé de résumer deux ans de travail en 22 pages!
J'espère que vous trouverez ce document utile et j'attends avec impatience commentaires et critiques, pour les intégrer, avant de le diffuser quelque chose de plus abouti, sous une forme plus "interactive".
mardi 28 décembre 2004
J'ai oublié les mots gourmands!
Les mots d'origine gourmande De Colette Guillemard, Editions Belin. Quelle horreur, cet oubli! Quoi de plus savoureux en effet que les mots de la cuisine et de la bouche?
"Crier aux petits pâtés: se disait des femmes en couches, qui poussaient des cris aigus, à la manière des marchands ambulants qui vendaient des petits pâtés dans les rues...". Le blé, c'est de l'argent, tout le monde le sait, mais la blanquette? De l'argenterie! Et, dans cette quête aux bons mots, je vais bientôt vous passer le chanteau (vous demander de prendre la suite, d'agir à votre tour). Dans cette collection de Belin, "Le français retrouvé", on a tous les vocabulaires qu'on veut: racines grecques, mots des régions, bible, cinéma, etc.
J'ai oublié aussi bien sûr le Mots et formules célèbres du Robert, mais tout le monde le connaît!
Ma bibliographie sur l'information : deuxième oubli
A la demande de Serge, en qui j'ai totalement confiance, je rajoute donc un livre à ma bibliographie de l'information, mais sans l'avoir lu!...
Il s'agit d'un ouvrage de référence théorique :
La science et la théorie de l'information par Léon Brillouin.
Serge en profite pour rappeller le paradoxe du démon de Maxwell: si quelqu'un a d'autres éclairages sur ce sujet, je suis preneur!
lundi 27 décembre 2004
Ma bibliographie sur les mots
Vous aimez les mots? Moi aussi... Voici une petite sélection de mes livres préférés...
Turlupinades & tricoteries : Dictionnaire des mots obsolètes de la langue française. C'est le plus beau des dico, celui qui ne vous servira à rien. Car, hélas, où lira-t-on encore : " Il m'a bien fait chevaler" (faire des allées-venues, des démarches)? Qui dira "Cessez de m'emberlucoquer!" (entortiller, séduire par la ruse) ? Seuls peut-être ceux qui veulent rester des écriveurs et des écriveuses (qui aime écrire)...Il faut s'aheurter à ces mots (s'attacher opiniâtrement) sans craindre que l'on vous ahonte (faire honte). Croquignole, pasquinade, mirliflore, paltoquet, songe-malice, zinzolin... A vous des les retrouver ou de les découvrir...
Chier dans le cassetin aux apostrophes :...et autres trésors des enfants du langage de Gutemberg . Pour ceux qui se souviennent de l'odeur du plomb et de l'encre dans les imprimeries. Voici l'argot des métiers du livre. Nombre de ces mots sont passés dans le langage courant : marbre, bouclage, enfant de la balle, ours, fantôme, coquille, nègre, bouquin...Les autres ont disparu...
Pour tout l'or des mots de Claude Gagnière. LE livre de chevet, par excellence. Par un auteur plein d'humour et d'humanisme qui se définit comme un "collectionneur de sourires"! Truffé d'anecdotes, de citations, c'est beaucoup plus qu'un dico, c'est une encyclopédie pétaradante des bons mots et des réparties de la langue et de l'histoire française. Je vous suggère en apéritif l'entrée "Métaphores", pour ceux qui croient encore que c'est une figure simple... De la "soucoupe inférieure" (chaise percée) de Molière aux "Etoiles: tout ce feu d'artifice qui reste en l'air" de Jules Renard, en passant par le "péché qui tête" (enfant naturel) de Saint-Pol Roux...
La Puce à l'oreille : Les expressions imagées et leur histoire. C'est évidemment L'AUTRE livre de chevet, de l'autre Claude, Duneton. Délectable, savoureux, à feuilleter tranquillement ; chaque fois qu'on se pose une question, on a la réponse ici. Ainsi: "pendant des siècles, avoir la puce à l'oreille voulait dire avoir des démangeaisons amoureuses "! Et quand vous dites: "tomber dans les pommes", Claude Duneton se pose la seule question qui vaille: "Mais de quelles pommes s'agit-il?" Car, ce qui fait aussi le poids de ce livre, c'est l'énorme travail de vérification et de validation réalisé par l'auteur. Duneton, c'est du béton!
Les allusions littéraires. Dictionnaire commenté des expressions d'origine littéraire de Jean-Claude Bologne. La citation se retrouve vite, surtout avec internet; l'allusion, elle, est plus subtile et plus perfide. On n'y retrouverait pas ses petits. Alors JC Bologne s'est attelé à la tâche et nous a livré ce formidable travail. Pas évident ainsi de retrouver la signification exacte de "l'abîme de Pascal" ou la suite de "Aimez-vous la muscade?"... JC Bologne est également l'auteur du Dictionnaire commenté des expressions d'orgine biblique...
L'information, ça se "bouffe"...mal!
A lire dans Le Monde daté 23/12/2004 : " Linformation tend à devenir un produit de consommation ".
Résultats d'une enquête de l'Observatoire du débat public (site???... pas trouvé dans Google...):
- l'information correspond à un besoin fondamental comme se nourrir, se loger ou se vêtir;
- les Français "grappillent" de plus en plus l'info: radio, télé, net , quotidiens payants ou gratuits; avec des allers-retours incessants entre tous ces médias;
- cette boulimie d'info traduit un sentiment d'inquiétude sur l'évolution du monde et le besoin de suivre les événements en direct;
- cette surconsommation engrange une surperficialité des nouvelles engrangées;
- les Français ne se sentent pas enfermés dans la "mal info" (titre de l'enquête): "ils sont nombreux à s'estimer manipulés et ils cherchent un moyen de naviguer dans l'information en multipliant les sources et en les confrontant" dit Denis, président dudit Observatoire.
( Source de l'image )
mercredi 22 décembre 2004
Bibliographie sur l'information: un oubli
Les cheveux du baron de Münchhausen de Paul Watzlawick. C'est l'auteur bien connu, membre du groupe de Palo Alto, de L'Invention de la réalité et de La réalité de la réalité . Je préfère celui-ci, nettement plus lisible. On est loin de la théorie de l'information mais je trouve les concepts expliqués ici indispensables pour bien comprendre ensuite les théories de l'information.
Münchhausen, c'est un peu le Candide allemand: pour se sauver de la noyade avec son cheval, il se prit lui-même par les cheveux. Il faut voir la vie avec un autre regard. Pour Watzlawick, le plus important c'est l'analyse de la relation entre individus plutôt que celle de l'individu lui-même. Palo Alto a ainsi, on le sait, révolutionné la thérapie. Mais quand Watzlawick insiste sur la nécessité de prendre en compte toutes les relations entre émetteur-signe-destinataire, on se rapproche des problématiques sur l'information. Peut-être un jour, dira-t-on que l'information aussi, ce n'est pas du contenu, mais une relation?....